« You're a real mess. »

Upside Down est une personnalité très difficile à cerner. Peu s’y sont essayés, nombreux sont ceux qui ont renoncé au premier échange verbal. Car s’il y a bien un trait qui définit l’Akhal Téké, c’est son silence. Un silence teinté d’une onde de mystère qui peut mettre mal à l’aise son interlocuteur. C’est un fait, l’étalon est peu loquace. Certains expliqueront cette lacune par un manque de vocabulaire, mais il en est tout autrement. Les mots sont des armes, les mots sont des dons, les mots ne se gaspillent pas¹. Ceux qui ont eu le privilège d’entendre sa voix s’accorderont à dire qu’il ne parle jamais de lui. Il est l’opposé le plus strict du nombrilisme. Il vous répondra bien plus aisément au sujet de considérations philosophiques qu’à une question naïve sur sa personnalité.

C’est un étalon d’apparence froide et distante, mais derrière cette carapace se terre un profond altruisme. Claquemurer ses sentiments au fin fond de soi est le meilleur moyen de se protéger, comme il l’a amèrement appris. La solitude n’est en aucun cas un poids pour lui, mais bien un privilège. Il ne se coupera toutefois pas complètement du monde, tentant de conserver un équilibre que son histoire lui a souvent refusé.

¹: P. Bottero, Ellana, L’Envol

L’étalon apparaît de prime abord intimidant : puissamment musclé, des traits racés,  une fine tête aux contours sciemment taillés, le regard vif et impénétrable ; Down impose le respect par son physique mais aussi par l’aura qu’il dégage. Magnétique pourrait être le mot juste.
Cette aura ne manquera pas d’interpeler celles et ceux qui croiseront sa route. Qui est-il ? D’où vient-il ? Une histoire parmi tant d’autres, une histoire qui n’intéresse personne selon ses dires.

Une enfance paisible, hors du pays des chevaux, pour un poulain curieux et plein d’entrain. Un doux apprentissage de la vie encadré par des parents aimants et des amis fidèles. Aucun rapprochement possible avec ce grand marginal, en somme.
Comment ce bel agneau est-il devenu une ombre ?  La blessure.

En bref ? Une mère malade du jour au lendemain, un père rendu à moitié fou par son angoisse. Ils n’auront pas vécu séparés bien longtemps. Down avait 3 ans lorsqu’il comprit le véritable sens du verbe « aimer », et la portée du mot « chagrin ».
Un nouveau mot vint s’imposer à lui dans toute sa force lorsqu’il fallut désigner un dominant pour succéder à son père : Trahison. Celle d’un ami, si tant est qu’on puisse le définir comme tel, de son meilleur ami, presque un frère, détourné de ses valeurs par sa soif de pouvoir. L’inévitable duel, l’inénarrable violence autorisée dans une pure démonstration de puissance. Le père de Down était un étalon fier et respecté de tous, il ne pouvait salir sa mémoire.

Le duel se déroulait au bord d’une falaise. L’écume moussait sur la robe des étalons gris et noir. Interminable était le terme exact. Down parvint enfin à mettre son meilleur ami (mais pouvait-il encore le considérer ainsi ?) en échec, au bord du précipice. Ce dernier, ayant compris qu’il ne serait plus jamais le bienvenu chez lui après cette défaite, préféra choisir la facilité.
Une unique plainte déchira le silence qui s’était installé lorsque le vaincu s’offrit au vide: celle de la douce Story, petite jument alezane que Down avait toujours aimé, mais qui lui avait préféré celui qu’il venait de tuer.

Sa triste victoire reconnue et son pouvoir assis, Down apprit un nouveau mot qui fut une pointe de plus fichée dans son cœur : Mépris. Story ne lui pardonnerai jamais.  Alors Down confia le troupeau à un étalon réfléchi de sa famille, et s’en alla sans se retourner. Il voyagea ainsi pendant plus d’un an, découvrant une vie radicalement différente de celle qu’il avait connue, avant que l’hiver ne le surprenne, aux frontières du pays des chevaux. Il eut du mal à s’adapter à la chute brutale des températures, s’amaigrit fortement, maudissant l’hiver mais continuant de marcher, trotter et galoper une majeure partie de la journée. Quelques semaines plus tard, il prit le temps de s’arrêter et de s’interroger sur cette étrange météo.

Il ouvrit enfin les yeux.

Ce paysage d’un blanc immaculé était un cadeau, une ode à la pureté. L’hiver est toujours un prélude au printemps : la vie lui offrait une seconde chance. Il allait pouvoir renaître, comme la nature, il en était désormais persuadé.

Sur cette douce pensée, l’Akhal Téké put discerner des groupes d’équidés progresser, soudés, en contrebas, vers des terres nouvelles qui constituaient sa prochaine destination.